L’argent reste souvent une thématique importante du chemin de l’entrepreneur. Le chemin jusqu’au décollage commercial peut parfois être long. Des frais importants peuvent être engagés. Et même une fois lancé, la gestion de la trésorerie peut poser problème. La recherche de fonds peut parfois s’assimiler à une longue marche dans le désert. Alors quelle stratégie pour financer son projet en suisse romande ?
Marie Maurisse a réalisé un article complet pour PME Magazine sur le sujet. Il détaille les options possibles en matière de financement en Suisse.

En Suisse, lancer son entreprise coûte en moyenne 53000 francs. Ce chiffre est articulé par le bureau d’études Global Entrepreneurship Monitor dans son dernier rapport, sorti à l’automne dernier. Un montant qui sert à payer les premiers équipements (logiciels, bureaux, machines, véhicules, etc.), mais aussi à financer les démarches administratives de base et à supporter la charge des premiers mois d’activité, avant qu’il soit possible de dégager un salaire.

La famille, le premier investisseur

Selon cette même étude, pour démarrer leur activité, les patrons suisses s’autofinancent à hauteur de 65%. Pour le reste, ils font appel à leur famille ainsi qu’à leurs amis. Cela ne surprend pas Pascal Bourgier, coach au bureau genevois de Genilem, une association spécialisée dans l’accompagnement des projets d’entreprise. «Si les besoins de financement sont inférieurs à 100000 francs, nous conseillons généralement le levier des ‘3F’, c’est-à-dire ‘Family’ (la famille), ‘Friends’ (les amis) et‘Fools’ (les fous), explique cet expert, non sans humour. La famille ne peut pas refuser, les amis aiment vous faire plaisir. Et les fous? Ils n’y comprennent rien, mais se montrent enthousiastes et donnent de leur argent!»

« On privilégie les ‘3F’, Family, Friends et Fools, pour un montant de moins de CHF 100’000 » Pascal Bourgier Coach chez Genilem

Le recours aux proches n’exempte pas les futurs patrons de faire leur travail et de préparer leur projet au millimètre près. Une étude de marché complète, qui fait le point sur les besoins des clients et recense la concurrence existante, est obligatoire. De même qu’un business plan sérieux, qui pré- sente succinctement les frais et les bénéfices attendus. Car même les amis veulent savoir dans quoi ils mettent leurs économies… «Nous proposons de réaliser un business plan d’une quinzaine de pages, qui présente le projet, indique Pascal Bourgier. Il comprend aussi le public cible ainsi que la structure financière de l’activité, c’est-à-dire les frais engagés, le prix du bien ou du service vendu, et enfin le chiffre d’affaires estimé.»

L’exercice semble simple, mais il ne l’est pas tant. Pour se faire aider, il existe plusieurs associations ou organismes publics spécialisés qui proposent un coaching afin d’aider les entrepreneurs en herbe à peaufiner leur projet. Genilem en fait partie. Mais il existe aussi les programmes de Start-up training, chapeautés par la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI). En quelques jours, cette formation aide à développer un projet, élaborer un business plan et établir une stratégie pour financer son activité. Chaque élève vient avec son idée et les professeurs sont des professionnels. Une méthode qui connaît un beau succès: à Lausanne, par exemple, 500 personnes par an la suivent.

Le crowdfunding, une percée timide

Paradoxalement, il est plus facile d’attirer des capitaux quand les besoins se montent en millions: plus l’investissement est grand, plus les rendements attendus le seront. La nouvelle application d’une molécule dans l’industrie de la pharma, par exemple, est extrêmement coûteuse et risquée. Mais si l’expérience est concluante, alors c’est le jackpot. «Les projets plus classiques, dans e secteur des services, et d’envergure plus modeste, sont plus difficiles à financer», relève Pascal Bourgier. C’est pourquoi les start-upper sont d’abord encouragés à faire appel à leur réseau personnel. Dans un deuxième temps, ils peuvent aussi avoir recours au crowdfunding, via des plateformes géné- ralistes en ligne, comme Wemakeit ou Kickstarter. D’autres sites sont plus spécialisés, comme Veolis, qui se concentre sur le secteur des cleantech, ou Moboo, basé en Valais, qui héberge des microprojets (voir la liste complète sur le site Swiss Crowdfunding Association).

En Suisse, selon les chiffres de Global Entrepreneurship Monitor, le crowdfunding intervient seulement à hauteur de 6% dans la création d’entreprise – c’est moins qu’ailleurs en Europe. Mais cette méthode est appelée à se développer, notamment via du crowdfunding réservé aux start-up, qui permet de trouver des actionnaires. Avec cette formule, on ne donne plus seulement un montant, on acquiert aussi des participations dans l’entreprise en devenir. Des dizaines de sites se sont créées sur ce modèle, facilitant grandement la recherche. Là encore, c’est le sérieux du projet qui encouragera les investisseurs.

Le site Raizers, présent dans quatre pays européens dont la Suisse, est l’un des plus connus. Mais depuis quelques années, d’autres plateformes basées sur le même principe ont fleuri, dont Anaxago en France ou Bee Invested, en Suisse, qui permet d’investir dans des start-up dès 500 francs. En ce moment, il propose par exemple de participer au développement de Pavando, qui fabrique des bracelets de luxe, faits main, en Suisse.

Le microcrédit, un coup de pouce

Si le concept développé ne requiert pas un investissement important, une autre solution permet d’amorcer les débuts plus sereinement: le microcrédit. Ces prêts vont en général de 5000à 30 000 francs et peuvent représenter une aide non négligeable pour créer sa SàRL ou acheter les premiers équipements. Le taux d’intérêt est plutôt bas – autour des 4%. La fondation Microcrédit Solidaire Suisse, basée à Lausanne, est l’une des références en la matière. Les critères d’acceptation des dossiers sont assez stricts, mais cela n’est pas forcément négatif dans la mesure où la candidature peut aider à structurer sa stratégie commerciale. Et surtout, cet organisme intervient pour soutenir des projets que les banques n’auraient pas estimés suffisamment rentables.

Les aides publiques

L’innovation et la création d’entreprise sont clairement des objectifs prioritaires pour la Suisse. La Confédération les soutient via la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI), qui a récemment accéléré son soutien aux PME en débloquant 60 millions de francs dans ce but. Mais cette enveloppe ne s’applique qu’aux projets qui rentrent dans le cadre de la CTI, c’est-à-dire des start-up essentiellement scientifiques. Une restriction qui pourrait peut-être évoluer dès l’année prochaine, puisqu’en 2018 la CTI changera de statut et de nom, pour devenir l’«Agence suisse pour l’encouragement de l’innovation».

Les cantons sont aussi très proactifs à l’heure de donner un coup de main aux entrepreneurs. Chacun le fait à sa manière. A Lausanne, c’est Innovaud qui se charge de superviser le soutien aux start-up. Le canton accompagne quelque 300 projets par an, mais son soutien n’est pas forcément financier: il s’agit parfois seulement d’un coaching, d’un hébergement, ou de promotion de l’activité. «Pour les étudiants qui sont encore à l’école, nous pouvons accorder une bourse qui leur offre un salaire pendant un an, le temps de lancer leur activité, souligne Patrick Barbey, directeur d’Innovaud. Une quinzaine de personnes en bénéficient chaque année.» Autre forme de soutien: aux sociétés déjà inscrites au registre du commerce, l’organisme peut accorder un prêt de 100000 francs, sans intérêt, pendant trois ans, remboursable dès la quatrième année. «Nous en accordons environ une dizaine par année, pré- cise Patrick Barbey. Typiquement, cela permet de réaliser un prototype et de gagner ses premiers clients.»

Tout comme la CTI, Innovaud met la priorité sur les projets technologiques, à haute valeur ajoutée. De son côté, la promotion économique vaudoise (SPECo) peut offrir des bourses de 100000 francs maximum aux entreprises innovantes ou industrielles. Le montant n’est pas directement versé au créateur d’entreprise: les fonds viennent toujours cofinancer des démarches nécessaires au développement de l’activité, comme une étude de marché, l’achat d’un outil spécifique, etc. Là aussi, les critères de sélection sont drastiques. Mais une fois obtenu, ce soutien est une carte de visite importante: il est la preuve de la solidité du projet, ce qui séduira beaucoup les éventuels investisseurs privés sollicités.

La Fondation pour l’innovation technologique (FIT), elle, alloue des bourses pouvant aller jusqu’à 100000 francs. Elle dispose au total d’un budget de 4 millions par année.

La course aux prix

Il en existe des dizaines, qui permettent de tester la valeur de son business plan, de gagner une partie de son budget, et surtout de se faire connaître. Le prix Iddea (prix-iddea.ch) est réservé aux projets liés au développement durable. Chez Genilem, Pascal Bourgier gère le prix Genilem HES, ouvert aux étudiants. «Nous offrons le capital de démarrage, soit 20000 francs, plus les frais de constitution de la société, ainsi que trois ans d’accompagnement», positive ce spécialiste.

Prix Venture, Swiss Startups Awards, Prix Strategis… Postuler à ces prix peut s’avérer chronophage, d’autant que les sommes en jeu ne sont pas toujours importantes. Avant de se lancer, il vaut mieux bien vérifier que son projet remplisse les critères de sélection. L’autre grand classique, en Suisse, est l’organisme Venture Kick. Longtemps concentrée sur les projets technologiques, cette fondation s’ouvre peu à peu aux autres types de start-up, à condition qu’elles aient un modèle d’affaires très innovant. Depuis 2007, Venture Kick a distribué près de 19 millions de francs à 463 start-up.

Trois phases sont possibles: la première consiste à présenter son concept. S’il passe la rampe, le fondateur reçoit 10000 francs afin de le développer. Trois mois plus tard, s’il a bien avancé, il peut recevoir une enveloppe de 20000 francs. Six mois plus tard, c’est 100000 francs. Le bémol, c’est que ce système est réservé aux élèves des hautes écoles suisses (http://www.venturekick.ch).

Les business angels

Pour les self-made-men, ou les entrepreneurs en herbe qui ont une carrière derrière eux, le meilleur moyen d’obtenir de l’aide est de faire appel à des investisseurs privés. Dans ce cas, ce sont les clubs de business angels qui feront le lien entre les start-upper qui cherchent du soutien, et les investisseurs prêts à voir éclore un projet. On peut mentionner Go Beyond ou les Business Angels Switzerland, deux organismes de qualité. Présent dans plusieurs cantons, Genilem joue aussi ce rôle et est le seul à soutenir des projets non technologiques, avec des besoins plus modestes.

«Demander un soutien financier d’entrée de jeu n’est pas facile.» Patrick Barbey Directeur, Innovaud

Faire appel à des investisseurs privés peut être utile si les fonds demandés se situent entre 100000 francs et 1 ou 2 millions. «Mais demander un soutien financier d’entrée de jeu n’est pas facile, prévient Patrick Barbey. En Suisse, on considère que l’entrepreneur doit d’abord avoir pris un risque personnel et mis ses fonds dans l’affaire.» Attention donc à ne pas solliciter des aides prématurément

Même avertissement de la part de Pascal Bourgier. «La création d’entreprise n’est pas un sprint, mais une course de fond, confie-t-il. Plus que des investisseurs, la priorité est de trouver des clients. Le financement peut être positif pour amorcer la pompe, mais si le modèle d’affaires ne suit pas, alors cela ne sert à rien. Et si on ne trouve aucune aide, c’est peut-être que le projet n’est pas suffisamment prometteur.» 

Quid du chômage ?
Arrêtons tout de suite le mystère: la Suisse n’est pas le pays le plus encourageant en matière d’entreprenariat.
Le chômage propose un module pour les personnes qui souhaitent se lancer. Toute une série de cours sont dispensés. Les assurés ont alors environ quatre mois pour lancer leur activité. Après ce délai, le chômage pourra déterminer si l’assuré peut encore bénéficier du chômage. Et si l’activité indépendante se confirme, l’assuré renonce à son droit au chômage (il doit en effet retrouver un emploi durant 18 mois avant de pouvoir à nouveau bénéficier du chômage). Bon la solution n’est pas des plus « encourageantes ». Il faut donc bien connaître les conséquences de ces choix avant de s’engager dans une voie ou une autre.